Chartres métropole
Crise de l’eau : une alliance pour un développement durable
Dans un monde de plus en plus soumis à des défis environnementaux, la gestion de l’eau devient un enjeu critique pour les métropoles et le secteur agricole. Jean-Pierre Gorges, président de Chartres métropole, et Éric Thirouin, président de la chambre d’Agriculture d’Eure-et-Loir, nous accordent une interview. Ils se penchent sur la question de la gestion de l’eau, analysent la crise actuelle, dévoilent leurs stratégies pour protéger cette ressource vitale, et partagent leurs plans en partenariat avec l’État local. L’objectif : garantir le développement durable du territoire et des activités agricoles, en se basant sur la recherche et le développement.
Dans un monde de plus en plus soumis à des défis environnementaux, la gestion de l’eau devient un enjeu critique pour les métropoles et le secteur agricole. Jean-Pierre Gorges, président de Chartres métropole, et Éric Thirouin, président de la chambre d’Agriculture d’Eure-et-Loir, nous accordent une interview. Ils se penchent sur la question de la gestion de l’eau, analysent la crise actuelle, dévoilent leurs stratégies pour protéger cette ressource vitale, et partagent leurs plans en partenariat avec l’État local. L’objectif : garantir le développement durable du territoire et des activités agricoles, en se basant sur la recherche et le développement.
Horizons : Comment analysez-vous la crise actuelle de gestion de l’eau et quels impacts pour Chartres métropole et le monde agricole de l’Eure-et-Loir ?
Jean-Pierre Gorges : Gérer le cycle de l’eau constitue une compétence, une responsabilité majeure de Chartres métropole, de sa production en qualité et en quantité suffisante jusqu’au retraitement des eaux usées. Succédant à des pluies d’hiver insuffisantes pour recharger complètement les nappes phréatiques, les sécheresses récentes, celle de 2022 en particulier, ont posé la question de la répartition de cette ressource vitale. Chartres métropole a l’obligation de satisfaire les besoins de la population toute entière, et nous n’ignorons pas les besoins des agriculteurs-irrigants, en particulier lors de leur pic d’utilisation durant les mois de la fin du printemps et de l’été.
Nous appartenons tous à un même territoire, et je n’ai pas besoin d’insister sur l’importance de l’agriculture dans notre économie comme dans la gestion de nos paysages. Elle fait partie constitutive de notre identité, comme en témoigne l’image emblématique de la cathédrale de Chartres au milieu des blés. Chartres métropole et la chambre d’Agriculture entretiennent donc un dialogue permanent. Mais les sécheresses successives ont mis notre modèle de production et d’utilisation de l’eau sous tension. Il nous appartient d’y remédier, pour parer au retour immédiat d’une période de sécheresse. Mais nous devons aller plus loin, ne pas nous satisfaire d’une répartition même apaisée de la pénurie, regarder à moyen terme en développant nos capacités dans tous les domaines. Repenser notre modèle à tous ses étages.
Ensemble, formons une réponse globale et concertée à l’enjeu de l’eau, qui mérite toute notre attention pour sa valeur inestimable.
Éric Thirouin : L’eau est une ressource vitale qu’il est essentiel de savoir partager et prioriser. Il n’y a pas de vie ou de nourriture sans culture. L’agriculture est un acteur économique clé du territoire et responsable. Le président Jean-Pierre Gorges et moi-même travaillons respectivement en faveur du développement économique, de l’emploi, du cadre de vie, de l’environnement. Depuis deux années consécutives, les mesures révèlent une recharge insuffisante des nappes, qui se conjugue avec des printemps et des étés caniculaires.
La sécurisation des ressources en eau constitue un enjeu stratégique partagé et nous savons que la durabilité de nos activités passe par notre adaptation et notre capacité à atténuer les effets du changement climatique.
Comment Chartres métropole et la chambre d’Agriculture travaillent-elles ensemble pour gérer la ressource en eau de manière durable ?
J.-P.G. : Cela fait près de dix ans que nous avons appris à travailler ensemble. Et d’abord sur la question de la qualité de l’eau, un enjeu d’intérêt général. Cette collaboration fonctionne bien. Mais la crise récente nous impose de considérer désormais la question de l’approvisionnement en eau comme également prioritaire. Qualité et quantité. Dans l’immédiat, sous l’autorité du préfet d’Eure-et-Loir, nous agissons selon un protocole qui instaure un dialogue avec les irrigants du secteur de Francourville et Prunay-le-Gillon. Nous partageons désormais pleinement les processus du partage de la ressource. Nos ingénieurs visitent et accompagnent régulièrement les entreprises agricoles dans leur effort d’adaptation.
E.T. : Sur le plan de la qualité, nous avons contractualisé un partenariat technique et financier soutenu par l’Agence de l’eau Seine-Normandie pour mener les actions d’analyse et de conseil agronomique. Sur le plan de la quantité, nous avons signé le 15 avril un protocole d’accord avec le préfet, définissant les mesures de limitation des usages de l’eau en période de sécheresse pour les forages de Francourville et Prunay-le-Gillon.
Quelles mesures avez-vous mises en place pour protéger la qualité de cette ressource ?
J.-P.G. : Nous disposons d’une usine moderne de dénitrification. Quand cela s’avère nécessaire, elle filtre les eaux qui viennent de nos forages mais aussi de la rivière. S’y ajoute tout un travail de conseil technique.
Nos ingénieurs et techniciens animent, forment et conseillent 400 exploitants sur une Aire d’alimentation de captages (AAC) de plus de 30 000 hectares. C’est une surface immense. C’est dire si le partenariat avec la chambre d’Agriculture s’impose, et nous pouvons nous féliciter de la complémentarité de nos équipes et de nos savoir-faire. Elle est aussi un atout dans le travail de réflexion que nous menons pour organiser une meilleure répartition de la ressource. D’ailleurs, c’est ce travail d’animation et de partenariat qui a été pris en modèle par l’Agence de l’eau, pour inspirer d’autres territoires.
E.T. : Sur neuf Aires d’alimentation de captages (AAC), un observatoire des nitrates mesure et évalue le cycle de l’azote par type de sol, par culture, les corrèle avec les pratiques agronomiques et le climat (température, précipitations). Les agriculteurs bénéficient de conseils agronomiques de la Chambre, en lien avec les équipes de Chartres métropole, afin de limiter leur impact sur la ressource.
Comment conciliez-vous les besoins en eau de l’agglomération de Chartres et ceux des agriculteurs de l’Eure-et-Loir ?
J.-P.G. : C’est un sujet très technique. Ce que je retiens, c’est que notre dialogue est permanent depuis la fin de la saison d’irrigation 2022 et la préparation de l’année culturale suivante. Tous les jours, grâce à l’échange de nos données respectives, les agriculteurs concernés peuvent suivre l’évolution de la ressource. Ils peuvent aussi mesurer les effets des contraintes que leur impose le protocole d’accord. De notre côté, notre société d’exploitation C’Chartres Eau dispose également d’une meilleure visibilité de notre situation. Elle a donc pu mettre au point les outils de gestion opérationnelle qui lui permettent d’adapter notre production à l’évolution de la situation. Concrètement, nous sommes aujourd’hui en mesure de prendre les décisions utiles en moins de vingt-quatre heures, quand il fallait parfois plusieurs jours, voire plusieurs semaines, les années précédentes.
E.T. : Le protocole d’accord fixe deux seuils de restrictions des prélèvements de l’ensemble des forages de Francourville et Prunay-le-Gillon en fonction du niveau de la nappe de la Craie. Pour les 59 agriculteurs irrigants, le seuil de « crise » interdit au choix d’irriguer entre 12 heures et 15 heures ou le dimanche ; le seuil de « crise renforcée » interdit l’irrigation entre 11 heures et 17 heures ou du samedi 8 heures au lundi 8 heures.
Complémentairement, les volumes globaux attribués sont réduits de 34 %. En 2023, les surfaces implantées en maïs et en betteraves ont été réduites respectivement de 20 % et 40 %.
Quelle est la position de l’État local dans cette crise de gestion de l’eau ? Comment travaillez-vous en partenariat avec lui ?
J.-P.G. : Au cœur de la sécheresse 2022, l’État a pris la mesure de la crise et joué son rôle de régulateur. Il a mis autour de la table tous les acteurs et encouragé la poursuite du dialogue après la fin de la crise. Il a été le partenaire et l’un des artisans du protocole mis en place. On en voit les résultats cette année : les enjeux sont tout aussi importants mais les esprits sont apaisés et les décisions prises dans la sérénité.
E.T. : L’État est un partenaire. De façon hebdomadaire, nos services techniques se rencontrent, analysent et partagent la situation, avec des relevés quotidiens. L’État est à l’écoute de nos contraintes respectives, et de nos suggestions.
Comment la recherche et le développement peuvent-ils contribuer à une meilleure gestion de l’eau ?
E.T. : La chambre d’Agriculture est pleinement impliquée en recherche et développement sur l’agronomie, la technologie et la connaissance des hydrosystèmes.
Notre équipe d’ingénieurs modélise des scénarios du réchauffement climatique à l’échelle de notre département afin d’anticiper les effets corolaires sur les cultures et la façon de les conduire.
Nous engageons des recherches de variétés résistantes au stress hydrique et l’adaptation de certaines cultures à notre zone, et développons des outils qui permettent d’apporter la bonne dose d’eau, au bon endroit, au bon moment.
J.-P.G. : Je ne doute pas un instant de l’implication de la chambre d’Agriculture et de ses équipes, comme de celle des exploitants. C’est leur intérêt (et c’est aussi l’intérêt général) de développer les solutions innovantes qui permettront de mettre en œuvre durablement un véritable plan de résilience de notre approvisionnement en eau.
De notre côté, nous portons notre effort sur l’amélioration de la connaissance de la ressource et de son fonctionnement. Sachant qu’une meilleure connaissance nous permettra de nous fixer des objectifs plus pertinents. C’est l’un des aspects de la Convention que nous avons signée avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), parmi d’autres acteurs. L’objectif est de mettre au point des outils fiables de prédiction et de gestion de l’évolution des nappes.
Pouvez-vous partager quelques-uns des projets que vous avez initiés ou soutenus pour améliorer la gestion de l’eau ?
ET : La chambre d’Agriculture suit les niveaux de forages agricoles de la nappe de la Craie dans le secteur de Francourville et Prunay-le-Gillon. Ils sont mis en relation avec les pratiques d’irrigation pour comprendre les interactions avec les forages d’alimentation en eau potable pour une gestion optimisée.
Nous livrons à tous les agriculteurs du secteur un bulletin de conseil à l’irrigation.
Nous avons initié un moratoire gelant l’implantation de forages agricoles afin de permettre à Chartres métropole de rechercher de nouvelles ressources d’alimentation en eau potable et son développement.
J.-P.G. : Notre stratégie vise d’abord à élargir la ressource, en augmentant le nombre de nos forages pour limiter notre dépendance à tel ou tel d’entre eux. C’est aussi l’un des moyens d’améliorer la qualité de l’eau que nous produisons.
Nous nous employons également à interconnecter davantage tous nos réseaux. Enfin, nous avons engagé depuis plusieurs années, grâce à des matériels de pointe, une lutte efficace contre les fuites d’eau pour limiter au maximum ce qui apparaît comme un gaspillage désormais insupportable. C’est un travail à moyen et long terme très coûteux. Nous avons prévu d’investir 54 millions d’euros sur quinze ans dans l’ensemble de ces opérations.
Comment garantir à l’avenir le développement du territoire et des activités agricoles ?
E.T. : Comme pour la nappe de Beauce, la modélisation de la nappe de la Craie doit permettre d’établir des règles de gestion et de partage en fonction de la recharge et des besoins des différents usages. En situation de crise, des seuils de restriction seront établis. Il est essentiel que ce travail soit issu d’une production scientifique assurée par le BRGM, en mobilisant tous les usagers du territoire.
J.-P.G. : J’ai déjà mentionné le financement que nous apportons aux études menées par le BRGM. L’augmentation et la diversification de notre production d’eau par la meilleure connaissance de la ressource, voilà la solution. Nous devons développer une stratégie positive. C’est la rareté qui stimule la créativité, pour le bénéfice de tous les usagers, agriculteurs compris. Il est clair que nous devrons désormais mieux mesurer l’utilisation de l’eau potable. Un exemple : l’utiliser pour alimenter les chasses d’eau de nos toilettes apparaît désormais comme un gaspillage. De même, rendre directement à la rivière nos eaux usées, après leur purification par nos stations d’épuration, apparaît comme une solution de facilité. Ces eaux propres pourraient être réutilisées, et pourquoi pas par les agriculteurs dans leurs opérations d’irrigation.
Quelle stratégie commune prévoyez-vous de déployer en partenariat ? Selon quelle méthode ?
E.T. : Le dialogue et la concertation régulière permettent d’anticiper les tensions. Je suis favorable à ce que notre établissement contractualise des actions de coopération en faveur du développement durable avec Chartres métropole. Au-delà du sujet eau — quantité et qualité —, nous pouvons œuvrer ensemble au Programme alimentaire territorial, conduire des projets de diversification et de transformation agroalimentaire, de décarbonation de l’agriculture, etc.
J.-P.G. : Tous les partenariats sont les bienvenus. Et je vois l’agriculture changer autour de nous. Des productions maraîchères de fruits et légumes se développent. Les circuits courts, la relation directe entre l’exploitant et le consommateur, ont le vent en poupe. Le monde agricole souffre de la méconnaissance de ses métiers et de ses conditions de production par les urbains qui constituent désormais 80 % de la population de ce pays. Notre Schéma de cohérence territoriale (Scot) entend maintenir la répartition historique de la population sur notre territoire, les 2/3 dans la zone urbaine et 1/3 dans les communes périurbaines et rurales. Alors que la loi ne nous y oblige pas, nous reversons à nos communes 11 millions d’euros chaque année de Dotation de solidarité communautaire (DSC) et nous consacrons plus de 2,5 millions d’euros aux projets d’investissement des communes périurbaines et rurales. C’est un niveau d’effort quasi inégalé en France. Au-delà de tous les partenariats que nous sommes prêts à développer avec la chambre d’Agriculture, c’est tout le monde rural de notre territoire que nous soutenons au jour le jour. Et nous allons continuer.
Quels sont les résultats attendus de ces mesures, projets et stratégies pour la gestion de l’eau sur le territoire ? Et quel message souhaitez-vous transmettre aux habitants de Chartres métropole et aux agriculteurs de l’Eure-et-Loir ?
E.T. : Notre vision est bonne. Les agriculteurs sont conscients de la nécessité d’approvisionnement en eau potable des habitants de l’agglomération. Ils respectent les restrictions en subissant les conséquences économiques. Ils soutiennent les investissements de Chartres métropole en la matière.
Leur implication pour un meilleur partage et pour mettre en œuvre les solutions agronomiques plus sobres ne doit pas être mise en doute. Nous sommes résolument engagés, et un acteur fiable pour faire face aux enjeux du changement climatique.
J.-P.G. : Nous n’avons pas à notre échelle le pouvoir de modifier sensiblement l’évolution climatique. En revanche, nous devons nous préparer à en relever les défis quels qu’ils soient. Je rêve d’un système de gestion de l’eau qui ne se mette plus en tension lorsqu’un problème local intervient. La réaction rapide c’est bien, l’action durable et cohérente c’est mieux. Un système équilibré sait mieux supporter les à-coups des circonstances. C’est également vrai pour la question de l’eau. Nous devons nous atteler à définir là où nous voulons aller. Que cela concerne la gestion de la ressource ou l’organisation de nos infrastructures et de nos équipements.
Il nous faut construire une nouvelle architecture et le monde agricole qui vit dans le temps long a peut-être plus que d’autres besoin des perspectives d’une vision claire. Pour engager les adaptations nécessaires dans les meilleures conditions. C’est toute l’histoire de notre agriculture ici, c’est aussi son avenir.