Interview de Stéphanie Flament
Filières oléoprotéagineuses : « Maîtriser la valeur aval pour garantir celle de l’amont »
Exploitante agricole à Charmentray (Seine-et-Marne), Stéphanie Flament est membre du bureau de la Fop (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux). Elle fait le point sur les filières oléoprotéagineuses (prix, filière Avril, outils de transformation).
Exploitante agricole à Charmentray (Seine-et-Marne), Stéphanie Flament est membre du bureau de la Fop (Fédération française des producteurs d’oléagineux et de protéagineux). Elle fait le point sur les filières oléoprotéagineuses (prix, filière Avril, outils de transformation).

Horizons : Le colza et le tournesol sont deux cultures dont les prix se tiennent ces derniers mois. Bien que les prix varient par rapport aux cours mondiaux, quelle est votre analyse ?
Stéphanie Flament : En moyenne, les prix du colza et du tournesol sont assez bien orientés, soutenus par une demande robuste et des incertitudes sur les disponibilités mondiales. Mais cette solidité reste fragile, tributaire des marchés mondiaux, des conditions climatiques et de la géopolitique. Par exemple, le lien entre prix du pétrole et prix du colza est fort via la filière biodiesel. Si les prix de l'énergie repartent à la hausse, cela soutient les cours du colza. Ce que je constate personnellement et auprès d’un certain nombre d’agriculteurs, c’est que ces dernières années les cultures oléagineuses ont réellement tiré leur épingle du jeu en termes de rentabilité économique. Avec leurs atouts agronomiques, cela confirme que ce sont des cultures clés dans nos assolements. Et puis les premiers échos de moisson en colza laissent à penser que les rendements sont plutôt satisfaisants même s’il y aura des disparités.
Avoir structuré une filière sur le territoire français permet de maintenir des cultures qui entrent dans la diversité des assolements des agriculteurs. Plus globalement, pour la ferme francilienne, quels sont les débouchés ?
Face à l’instabilité croissante, qu’elle soit économique, climatique, géopolitique, il est important pour les producteurs que nous sommes de pouvoir bénéficier d’une filière oléoprotéagineuse particulièrement structurée et résiliente. Cette structuration de l’amont jusqu’à l’aval n’est pas le fruit du hasard. Elle est le fruit d’une vision pionnière portée déjà par notre syndicalisme FNSEA/JA qui avait compris l’importance de maîtriser la valeur aval pour garantir celle de l’amont et qui a donné naissance, il y a plus de quarante ans, à Sofiprotéol, rebaptisée Avril en 2015. Les producteurs ont notamment investi dans l’innovation et la diversification des débouchés : huiles de table, biocarburants, alimentation pour les animaux, oléochimie, ingrédients biosourcés… Et aujourd’hui, de nouveaux marchés s’ouvrent, comme celui des carburants d’aviation durables ou des légumineuses. Autant de débouchés qui bénéficient à notre ferme francilienne et qui ont permis aux surfaces oléagineuses d’être multipliées par quatre depuis les années 80, pour atteindre aujourd’hui plus de 2 millions d’hectares.
En parlant de biocarburant, les usines Saipol, dont celle du Mériot (Aube), ont traversé de grosses turbulences il y a quelques années. C’est aujourd’hui chose finie semble-t-il. Si un agriculteur n’avait pas été à la tête du groupe Avril, pensez-vous que les agriculteurs franciliens auraient toujours cet outil de transformation à deux pas de leurs champs ?
La gouvernance agricole d’Avril n’est pas qu’un fait historique hérité de sa création, mais bien une réalité concrète qui se traduit dans les faits. Cette gouvernance est exercée par des responsables professionnels, tous issus de la Fop et dont je suis administratrice au titre de la FRSEA Île-de-France. Notre rôle est d’être garants de la prise en compte des intérêts agricoles en étant pleinement impliqués dans toutes les décisions stratégiques, qu’elles concernent la France ou l’international. Si la gestion opérationnelle et quotidienne de l’entreprise a été déléguée, les agriculteurs et administrateurs de la Fop, avec quatre représentants (Stéphanie Flament, Alix Heurtaut, Julien Thierry et Arnaud Rousseau, NDLR) au sein du conseil d’administration, dont son président, veillent à ce que l’entreprise reste fidèle à sa mission d’origine, tout en garantissant les conditions de son développement et de sa compétitivité sur ses marchés. Une bonne illustration est effectivement quand, il y a quelques années, Saipol, filiale d’Avril qui assure la transformation des graines, a traversé une mauvaise passe financière. Alors que certaines usines de trituration, dont celles du Mériot, auraient pu fermer, les administrateurs agriculteurs impliqués directement dans le conseil d’administration d’Avril, dont en premier lieu Arnaud Rousseau, son président, ont refusé en bloc ces fermetures. Ils ont accepté de supporter les pertes car une usine qui ferme n’a quasiment aucune chance de rouvrir, et ce sont donc les producteurs qui en auraient payé le prix. Aujourd’hui, l’usine du Mériot produit notamment Oleo100, un carburant issu du colza 100 % origine France qui représente un débouché supplémentaire pour le colza francilien.
Enfin, au niveau de la Fop, vous menez des actions à caractère économique. Avec votre institut technique, comment pouvez-vous agir sur la notion de liberté d’entreprendre que les FDSEA portent actuellement ?
La Fop s’inscrit complètement dans la promotion de la liberté d’entreprendre à travers plusieurs leviers d’action. D’abord, en défendant la liberté des choix culturaux et la diversité des assolements, notamment en faisant en sorte que les agriculteurs ne soient pas contraints par des réglementations excessives et qu’ils conservent un maximum de moyens de production. Ensuite, en promouvant des solutions agronomiques innovantes avec l’appui de Terres Inovia. Puis en agissant en justice pour lutter contre la concurrence déloyale comme c’est le cas avec le recours intenté par la Fop pour mettre fin à l’inaction de la Commission européenne face aux importations frauduleuses d’huiles dites usagées pour faire des biocarburants. Enfin, en développant des débouchés et en structurant des filières locales de transformation, la Fop accroît les opportunités économiques de producteurs, renforçant par là même leur autonomie de décision. C’est ce syndicalisme à vocation économique que nous portons et qui vise avant tout à répondre à l’enjeu du revenu. C’est bien la clé de l’attractivité de notre secteur et donc de sa capacité à relever le défi si crucial du renouvellement des générations.