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Interview
Jean-Marie Fortin : « La filière horticole est dans l’incertitude »

Horticulteur dans le Loiret depuis vingt-cinq ans avec son épouse Myriam, Jean-Marie Fortin livre son témoignage sur l’avenir de la filière, fortement touchée par les deux confinements de cette année.

Comment gérez-vous ce second confinement ?

Jean-Marie Fortin : Nous avons 22 000 m2 de productions sous serres. À l’automne, nous vendons des chrysanthèmes, des pensées, des cornutas, des primevères, des cyclamens, sous différentes formes : en barquettes, en caissettes bois, en coupes, en jardinières, en pots. Ce sont des plantes que nous vendons à l’automne en grande partie lors la période de la Toussaint, du 15 octobre au 20 novembre. Devant l'effondrement de la demande depuis le 28 octobre — les amateurs de jardins, balcons et terrasses délaissent les points de vente de végétaux —, nous allons devoir jeter une partie de notre production automnale. Pour les chrysanthèmes, cela représente 20 % de la production, soit mille potées qui vont être jetées. Comme au printemps, lorsque nous ne vendons pas, ce sont trois à six mois de charges qui partent « dans la Loire ». Un chrysanthème est mis en pot à la fin du mois de mai et doit être vendu au 1er novembre pour les fêtes de la Toussaint, c’est-à-dire six mois de culture : le plant, le terreau, l’engrais, le travail et le désespoir de détruire des semaines d’attention et de passion. C’est une spécificité du monde agricole : nous produisons des mois à l’avance avec toutes les charges de productions induites au-delà des charges de structure, contrairement à une activité commerciale où les achats et les charges se réalisent au fil des ventes.

Avez-vous trouvé une solution alternative pour vendre votre production ?

Depuis le printemps, nous avons créé un site en ligne, avec un service de livraison. Il a très bien marché au printemps, au-delà de nos espérances. Mais cet automne, le click and collect n’a pas du tout fonctionné. Je pense qu’il y a beaucoup d’inquiétudes dans la société et des questionnements sur des lendemains incertains. De nombreuses personnes sont touchées par des suppressions de postes ou craignent de se retrouver sans emploi. Le pouvoir d’achat a peut-être baissé car bon nombre de salariés sont au chômage partiel.

Comment envisagez-vous l’hiver ?

Les productions d’hiver, ce sont les rosiers, les bisannuelles, les renoncules et les vivaces. Puis dès janvier nous attaquerons les productions de printemps : géraniums, annuelles… Nous sommes en train de les repiquer, les rempoter, les distancer… Mais nous avançons dans l’incertitude avec l’ombre d’une troisième vague épidémiologique qui plane. Nous sommes dans la crainte de revivre ce que nous avons vécu en début d’année : c’est-à-dire ne pas vendre aux mois de février et mars. Les serres seront pleines même si nous avons orienté prudemment nos productions. Nous sommes tout de même obligés de produire pour faire tourner nos entreprises, amortir les charges de structure. En automne, dix salariés travaillent chez nous ; ils seront quinze à dix-sept à partir de la fin du mois de janvier. L’activité de production continue, par contre la mise sur le marché et les ventes sont stoppées à plus de 50 % depuis le début du second confinement. Nous réalisons le travail de mise en production, mais nous avons été obligés de mettre en chômage partiel les salariés un à deux jours par semaine car notre activité de préparation de commandes est fortement réduite. Il est important de préserver les emplois pour être prêts à un redémarrage de la consommation qui se fera au sortir de cette crise sanitaire. Nous gardons espoir et vivons dans l’espérance de jours meilleurs, et dans la certitude que le végétal est un élément essentiel de l’équilibre de vie de nos concitoyens et de nos territoires.

Face à la conjoncture économique, que demandez-vous à l’État ?

Le ministre de l’Agriculture a annoncé 25 millions d’euros d’aides pour les destructions subies au printemps. Nous en avons grandement besoin pour reconsolider nos fonds propres. Sur une exploitation comme la nôtre, cela représente plus de 200 000 euros de plantes jetées, six bennes de 30 m3, en ayant à notre charge le recyclage de ces plantes. Finalement, nous avons payé nos salariés à jeter ces productions, à nettoyer nos structures de production et nous avons payé pour que les plantes soient recyclées. Sur ces 25 millions d’euros promis par l’État en mai dernier, nous sommes fin novembre et rien n’est arrivé. Même si les pertes liées à ce second confinement seront très inférieures à celles du printemps, elles aggraveront une situation très critique. Il ne faudrait pas que ça soit la goutte d’eau qui fasse déborder le vase. Ce que je redoute, c’est de ne pas pouvoir vendre dans des conditions normales au printemps 2021. Gardons le moral car je fais confiance à la capacité de résilience de notre exploitation qui a su surmonter la tempête de 1999, la grêle de 2014 et les inondations de 2016. Elle doit maîtriser cette période de crise sanitaire. Faisons confiance aux pouvoirs des fleurs pour changer la vie, changer les hommes et pour préserver notre filière horticole ornementale.
 
Retrouvez ici le site de La belle grange, l'entreprise de Jean-Marie Fortin
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