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Jean-Pierre Leveillard : « On casse une dynamique »

Sécheresse, charges sociales et Pac ont alimenté les débats le 28 septembre à Orléans, lors de la session de la chambre régionale d'Agriculture. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, le président de l'entité dresse un panorama de l'actualité agricole.

© Olivier Joly

Le vendredi 28 septembre, les élus de la chambre régionale d'Agriculture étaient réunis à Orléans en session. À l'issue des travaux, Jean-Pierre Leveillard, président de l'entité consulaire, a accepté de répondre à nos questions. Entretien.

Quel regard portez-vous sur la conjoncture agricole ?
Jean-Pierre Leveillard : Notre principal souci concerne la sécheresse : il y a urgence pour nourrir les animaux et faire lever les colzas. Or les solutions de remplacement ne sont pas légion. Surtout dans les territoires qui avaient pour habitude de faire des assolements triennaux blé, colza et orge d'hiver. S'il n'y a plus de colza, cela signifie que tout se reporte sur les deux autres cultures : l'année prochaine, nous connaîtrons des problèmes d'assolement, y compris avec la réglementation européenne. Par ailleurs, le projet de loi de finances 2019 prévoit de supprimer les exonérations de charges patronales pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emplois (TO-DE). Les conséquences seraient douloureuses pour les productions recourant aux saisonniers. Or celles-ci connaissaient déjà des difficultés. D'où forte la mobilisation actuelle.

Concrètement, sur ce dossier des TO-DE, que demandez-vous ?
J.-P.L. : Il faut réduire les charges sociales. L'enjeu : répondre à la problématique du surcoût du travail en France.

Un mot sur les néonicotinoïdes, désormais interdits ?
J.-P.L. : Ces produits étaient utilisés notamment en enrobage de semences et en très faibles quantités. Pour les remplacer, il faut procéder à plusieurs traitements chimiques : le gain écologique n'est pas évident du tout ! En outre, cela mettra en péril un certain nombre de productions : qui a vu butiner une abeille sur de la betterave sucrière ? Pour de telles productions, il aurait fallu des dérogations.

Le glyphosate sera interdit en France dans trois ans : qu'en pensez-vous ?
J.-P.L. : C'est aberrant d'interdire un produit qui n'avait aucune dangerosité ! Nous avons trois ans pour trouver une alternative. Or les travaux de l'Institut national de la Recherche agronomique durent en moyenne dix ans !
Entre 2014 et 2020, la région Centre-Val de Loire aura perdu cent millions d'euros au titre du premier pilier de la Politique agricole commune (lire l'encadré ci-dessous) : un commentaire sur ce chiffre ?
J.-P.L. : On sait pertinemment qu'en Centre-Val de Loire, à chaque fois qu'il y a une réforme de la Pac, on perd. La programmation 2021-2027 prévoit une dose de subsidiarité. Or il est essentiel de préserver le premier pilier : ce n'est pas en enlevant des crédits du premier pilier pour les mettre sur le deuxième qu'on résoudra les problèmes ! Nous avons besoin de conserver un nombre important d'agriculteurs et répondre à la problématique alimentaire mondiale uniquement par le bio n'est pas possible !

Pensez-vous que la prochaine Pac répondra à vos attentes ou, au contraire, êtes-vous inquiet ?
J.-P.L. : Au démarrage d'une négociation, on est toujours inquiet. La pression budgétaire est importante. Il y a également des discussions sur les modalités de production et des arguments qui ne sont pas toujours fondés scientifiquement. On le voit par exemple avec le glyphosate.
Quel bilan dressez-vous du plan Ecophyto et quelles sont les perspectives de la chambre régionale d'Agriculture en la matière ?
J.-P.L. : Tous les agriculteurs réfléchissent à la diminution des phytosanitaires. Cependant, ils subissent alternativement des pluviométries importantes et la sécheresse. Il aurait fallu mettre beaucoup de moyens dans la recherche. Quand on achète des produits phytosanitaires, on paye des taxes. Alors que celles-ci augmentent considérablement, les moyens se réduisent : on casse une dynamique qui est en train de prendre.

Au fil des travaux : ils ont dit...

Philippe Noyau : En raison de la sécheresse, de fortes tensions sont à venir, notamment pour les systèmes 100 % herbe. Il y a déjà une spéculation sur la paille. Or on a besoin d'éleveurs dans la région. (...) En grandes cultures, pour réduire l'usage des phytosanitaires, on fait plus de cultures d'été mais les rendements ne sont pas au rendez-vous, ce qui soulève un problème de rentabilité : faire évoluer son système afin de s'adapter au changement climatique est difficile. (...) On détricote la Politique agricole commune à travers la subsidiarité et les transferts du premier vers le deuxième pilier. (...) L'État diminue les aides à l'agriculture conventionnelle et favorise le bio : c'est fort de café ! C'est en mettant de l'argent dans la recherche qu'on trouvera des alternatives aux phytosanitaires. 

Jean-Luc Gitton : Les exploitations agricoles ont besoin d'être plus résilientes. D'où l'intérêt de la gestion de l'eau. Nous ne sommes plus dans le même monde qu'avant :
il faut avoir des réserves de fourrages plus importantes mais se pose la question du financement.

Hervé Coupeau : La Commission européenne n'a pas de rôle politique : ce sont les États membres qui décident. La France est responsable de la réduction des moyens alloués à la Politique agricole commune :
quand on intègre la défense dans les politiques de l'Union européenne, pourquoi continuer à financer l'Otan ?  

Michel Masson : A-t-on mesuré l'impact du Brexit sur la future Pac ? La disparition de la contribution de la Grande-Bretagne au budget communautaire suscite des inquiétudes. Par ailleurs, s'opère un transfert du premier vers le deuxième pilier. Or, en région Centre-Val de Loire, à chaque fois qu'on transfère trois euros, on en récupère un : on se tire une balle dans le pied ! Quant à répondre à la demande de la société, de quoi s'agit-il précisément ? Et à quel prix les gens sont-ils prêts à payer leur alimentation ? (...) Ce n'est pas à l'utilisateur de mesurer l'impact d'un phytosanitaire sur l'environnement. C'est au fabricant de le faire lors de l'homologation du produit.

Henry Frémont : Le contexte économique est difficile. Or l'accompagnement financier des agriculteurs pour réduire l'utilisation des phytosanitaires est faible. Par ailleurs, la société veut que nous changions nos pratiques mais sans que les prix des produits alimentaires n'augmentent ! (...) À force d'enlever cent millions d'euros tous les cinq ans, on ne parlera plus du premier pilier de la Pac pendant très longtemps !

Jean-Claude Prieur : Je suis engagé dans une MAEC (NDLR : Mesures agro-environnementales et climatiques) polyculture-élevage. Or le plus difficile réside dans le travail sur l'IFT (NDLR : Indice de fréquence de traitements) : cela dépend du climat et de l'agronomie et non de considérations administratives !

Jean-Roch Gaillet, directeur régional de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt : La qualité de la moisson fait la réputation de la région et elle contribue positivement à notre balance commerciale. Les cours sont bien orientés mais la sécheresse est inquiétante. (...) La peste porcine africaine menace la production porcine européenne. Or c'est un domaine d'excellence nationale ! (...) Les chambres régionales d'Agriculture portent une vision stratégique. (...) Nous avons en tête le sujet des Surfaces d'intérêt écologique pour le Loiret et l'Eure-et-Loir. (...) Le rapport du préfet Bisch sur les retenues d'eau est sorti : nous avons fait un grand pas. (...) La carte de France des Zones défavorisées simples est en attente de retour de la Commission européenne. Le ministère a contribué à l'audit global des exploitations qui ne seraient plus éligibles à l'Indemnité compensatoire de handicap naturel. L'enjeu : assurer la pérennité des exploitations. Les pistes possibles : montée en gamme, autonomie fourragère, diversification, etc. Le dossier des ZDS n'est pas clos : ce n'est pas le moment de lâcher ! (...) Le projet de loi de finances 2019 supprime les allègements de charges pour les travailleurs occasionnels et les demandeurs d'emplois mais l'agriculture sera bénéficiaire pour les permanents. (...) La Pac post-2020 est un chantier emblématique : il faut qu'on se montre région par région car on ne peut pas synthétiser les choses. Dix-neuf pays sur vingt-sept, dont la France, refusent que le budget de la Pac 2021-2027 soit réduit de 5 %.

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