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Rémi Doublier : « Nous ne sommes plus à l’âge d’or de la betterave ! »

La betterave représente le quart de l’assolement de Rémi Doublier, planteur engenvillois : il explique sa vision de la culture.

© Olivier Joly

Planteur de betteraves à Engenville, Rémi Doublier raconte : «Historiquement, la ferme de Lolainville n’est pas une exploitation familiale : mon père, ancien conseiller au Groupement d’études économiques et techniques agricoles de Pithiviers, s’est installé en 1992 à l’âge de quarante-cinq ans. Au départ, c’était une société civile agricole. Puis c’est devenu une exploitation agricole à responsabilité limitée lors du décès de l’associé de mon père :
en vue de la transmission de l’exploitation, les deux hommes ont travaillé ensemble pendant quelques années. Ensuite, ma mère est devenue associée de mon père. Pour ma part, j’ai intégré la structure en 2012, lors du départ en retraite de mon père. » Ingénieur agricole de formation, notre interlocuteur a débuté sa carrière comme technico-commercial dans le sud-ouest. « Entre 2005 et 2007, les marchés étaient porteurs et cette confiance m’a conduit à m’installer. »

Une quinzaine de jours de travaux
Les betteraves ont toujours été présentes sur l’exploitation. « Un quart de siècle auparavant, c’était une culture à forte valeur ajoutée mais, aujourd’hui, c’est moins évident » analyse le planteur engenvillois. Son organisation de chantier repose sur l’autonomie du semis à la récolte : « Nous sommes tenus de pérenniser la culture.» Le professionnel poursuit : « Si nous faisions appel à un entrepreneur pour l’arrachage, nous pourrions plus facilement arrêter la culture même s’il y a des contrats avec la sucrerie. Cependant, toutes les régions ne pouvant pas faire de betterave, il faut en profiter : des agriculteurs situés en périphérie sur le triptyque blé, colza et orge n’ont pas pu semer de colza cette année à cause de la sécheresse et éprouvent des difficultés d’assolement. » La structure est passée du chantier décomposé à l’arracheuse-chargeuse puis à l’automotrice. Dans ce troisième schéma, Rémi Doublier est associé avec un voisin pour une surface totale d’une centaine d’hectares. « Nous entretenons le matériel au mieux afin de le faire durer : nous ne sommes plus à l’âge d’or de la betterave !» Chacun des deux agriculteurs conduit la machine chez lui et l’autre peut aider pour les bennes. Durée des travaux : une quinzaine de jours.

La problématique de l’année : la cercosporiose
Rémi Doublier témoigne : «Cette année, du fait de la sécheresse, c’est plus dur à arracher, on use le matériel et la poussière réduit la visibilité : pour améliorer les conditions d’arrachage, on arrose.» La problématique de l’année concerne la cercosporiose. «Toutes les parcelles et toutes les variétés sont touchées. On se retrouve avec des feuilles sèches entre les rangs, ce qui complique l’arrachage. Nous savions qu’il y avait un risque et nous avons suivi les conseils techniques qui nous étaient prodigués.» En 2017, l’intégration de cuivre dans le programme fongicide avait été «positif ». Mais, cette année, «cela n’a pas suffi pour maîtriser la maladie ». À l’heure où nous écrivions ces lignes, une soixantaine d’hectares avaient été arrachés. Or les rendements sont « décevants : il manque 20 % du tonnage chez nous et 30 % chez des voisins en non-irrigué. Certes, la richesse élevée compense une partie de la perte de tonnage ». Notre interlocuteur poursuit : « Nous sommes dans le bassin historique de la rhizomanie et du rhizoctone violet : la solution consisterait à réduire l’assolement. Mais nous sommes proches de l’usine : nous n’avons aucune raison de ne pas croire en l’avenir de la betterave au sud de Paris.»

L’environnement de l’exploitation
Le planteur engenvillois utilise un semoir pneumatique monograine. Et il sème sur un sol préparé par deux passages de cultivateur vingt-quatre ou quarante-huit heures auparavant. Objectif : « Obtenir un lit de terre suffisamment affiné et appuyé. Nous n’avons pas encore franchi le cap du non-labour. Néanmoins, nous regardons ce qui se pratique ailleurs : non-labour et semis sous couvert. Entre l’adaptation du matériel et les inquiétudes techniques, notamment le désherbage, des questions se posent. Actuellement, le labour est bénéfique pour structurer le sol et maîtriser l’enherbement : c’est la première bineuse dans l’itinéraire. Le sol contient peu de cailloux : nous travaillons dans de bonnes conditions. » Le semoir se compose d’un disque perforé qui aspire les graines individuellement de façon à les positionner correctement sur le lit de semences. « Jusqu’à présent, les semences étaient traitées mais l’inquiétude demeure pour 2019 car les néonicotinoïdes ne seront plus autorisés : cela risque de favoriser les pucerons et les ravageurs, contre lesquels les solutions alternatives manquent. » Notre interlocuteur sème en ligne à intervalles réguliers (17,5 cm). Objectif : 114 000 plants par hectare. «Depuis cinq ans, nous semons au GPS : lors de la récolte, cela limite les pointes et facilite le binage. » Normalement, Rémi Doublier procède à deux binages : au stade six-huit feuilles et à couverture du rang. Cette année, en raison des conditions météorologiques, seule la seconde intervention a pu avoir lieu. « Conséquence : les champs sont plus sales que d’habitude. Et cela montre les limites des programmes de réduction des phytosanitaires au profit de solutions mécaniques.» Entre les semis et le binage, le professionnel effectue trois passages d’anti-dicotylédones et un autre d’anti-graminées. « Une fois, nous nous sommes trompés d’un rang : toute l’année, nous avons eu un problème d’adventice (NDLR : le chénopode). (…) Nous pourrions faire sans phytosanitaire mais la production serait divisée par deux ! L’approche individualiste consisterait à faire du bio : nous améliorerions la marge de l’entreprise et nous serions dans l’air du temps. Mais cela mettrait en difficulté l’environnement de l’exploitation : distributeurs de matériel agricole, coopératives, transporteurs routiers, etc. Or il y a quatre sucreries dans le secteur… »

À soixante mètres de profondeur
Rémi Doublier sème huit variétés de betteraves. « La recherche permet d’obtenir des variétés relativement homogènes en termes de rendements ainsi que de richesse et tolérantes à la rhizomanie. En revanche, nous attendons des progrès de la génétique sur la problématique cercosporiose. » La quasi-totalité de la surface betteravière de notre interlocuteur est irriguée. «Cela sécurise le rendement et c’est le premier levier de préservation de l’environnement : on épand de l’engrais et, au final, on s’aperçoit qu’on en a trop mis. Avec l’eau, on est au plus juste des besoins de la culture.» Cette année, le professionnel a irrigué entre fin juin et mi-août à travers quatre tours d’eau. L’intéressé possède un forage puisant dans la nappe de Beauce à soixante mètres de profondeur. «Les nappes ayant été bien rechargées pendant l’hiver, les quotas étaient normaux.»

Une absence de solutions immédiates
Le planteur engenvillois adhère à la Confédération générale des planteurs de betteraves du Centre-Val de Loire. Le rachat, en 2012, de la Vermandoise, groupe privé, par Cristal Union a « profondément » mélangé les relations : « Au sein de la coopérative, on retrouve des planteurs des deux côtés : industriel et syndicat. La CGB représente un contre-pouvoir à l’usine. Cette dernière recommande un certain nombre de variétés et le syndicat en propose d’autres : cela permet de choisir les mieux adaptées au contexte de son exploitation. Or cette offre variétale est importante car c’est le levier de progrès le plus efficace qu’il nous reste. En effet, à l’image des néonicotinoïdes, les solutions immédiates n’existent pas. Même chose avec le glyphosate (NDLR : dans trois ans se posera la question de la réhomologation) : le biocontrôle n’est pas aussi efficace. » Rémi Doublier conclut : « En céréales, la recherche génétique a permis d’enregistrer de gros progrès en termes de résistance aux maladies mais cela demande beaucoup d’années de recherche. »

L’exploitation en bref

✓ Appellation : EARL de Lolainville.
✓ Localisation : Engenville.
✓ SAU : cent soixante hectares, dont trente-cinq de betteraves.
✓ Coopérative : Pithiviers (Cristal Union).
✓ Rendements betteraviers moyens : 92 t (16°) par hectare.
✓ Associés : Rémi Doublier et sa mère Annick. La structure compte également un salarié permanent.
✓ Chiffre d’affaires : 280 000 euros, dont 80 000 euros pour les betteraves.

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