Arboriculture
Vergers sous pression, quand produire devient un combat
Arboriculteur à Tigy, Jérôme Bergère lutte au quotidien pour préserver ses cultures. Il alerte sur les conséquences de l’interdiction en France de certaines substances actives, notamment l’acétamipride.
Arboriculteur à Tigy, Jérôme Bergère lutte au quotidien pour préserver ses cultures. Il alerte sur les conséquences de l’interdiction en France de certaines substances actives, notamment l’acétamipride.

Jérôme Bergère, arboriculteur au Gaec Les Sapins à Tigy (Loiret), cultive une vingtaine d’hectares de poiriers, 2 hectares de pommiers, 1,5 hectare de cerisiers, ainsi que 2 500 m2 de fraises hors-sol.
Côté récoltes, le constat est mitigé cette année. « Au niveau de la pomme, ce sera une année normale en production. Au niveau de la poire, en revanche, la récolte s’annonce petite », indique-t-il. Une déception, d’autant que floraison et pollinisation avaient été bonnes. « Les arbres ont poussé trop vite à cause de l’eau qu’ils avaient au pied cet hiver. C’est ce qu’on appelle la concurrence pousse-fruit, l’arbre pousse plus et fait chuter ses fruits. » Une chute physiologique classique, mais amplifiée cette année. « On pense qu’on aura 50 à 60 % de fruits selon les variétés. »
Sur la poire, la tendance est à la baisse depuis plusieurs années. « Avant, on faisait 40 à 50 tonnes par hectare. Depuis quatre à cinq ans, avec les gels de printemps, on est sur des petites années, 20 à 30 tonnes maximum. » Cette année encore, les rendements espérés ne seront pas au rendez-vous. Et selon lui, les automnes plus doux impactent aussi la qualité des bourgeons à fruits.
La drosophile et le casse-tête des protections
Pour la cerise, « on devrait avoir une récolte correcte cette année, bien qu’elle ne soit pas exceptionnelle. Il n’y a pas eu de gel de printemps, donc c’est bien », souligne-t-il. Mais reste le principal fléau : la drosophile asiatique (Drosophila suzukii). Cette petite mouche, invasive, pond dans les fruits mûrs, rendant les récoltes invendables. « C’est un très, très gros souci pour la cerise depuis quelques années. Et on a le même souci en fraise. » Face à cela, Jérôme Bergère a investi dans un système de filets « insectproof » et de bâches pour protéger ses cultures : « C’est une maille très, très fine pour que la mouche ne passe pas à travers ». Selon lui, l’efficacité atteint 90 à 95 %, mais le coût reste élevé : environ 60 000 euros par hectare, sans compter la main-d’œuvre nécessaire au montage et démontage chaque saison. « Tout est replié à l’automne et redéployé au printemps. »
Sans acétamipride, des traitements inefficaces à répétition
Autre problématique récurrente en cerisier et en pommier : la pression des pucerons, notamment le puceron cendré. Une lutte de plus en plus compliquée depuis l’interdiction du Suprême, un insecticide à base d’acétamipride. Ce néonicotinoïde, très médiatisé ces dernières semaines et souvent présenté comme un « tueur d’abeilles » reste pourtant labellisé « abeille » selon la classification officielle, c’est-à-dire non toxique pour les pollinisateurs lorsqu’il est utilisé conformément aux conditions d’emploi.
Malgré cela, la France a choisi de l’interdire, contrairement à 26 des 27 pays de l’Union européenne. Une décision difficile à comprendre pour les producteurs comme Jérôme Bergère, qui constate, depuis, une efficacité en nette baisse des traitements : les produits de substitution demandent plus d’interventions et donnent des résultats très décevants. Au lieu de réduire l’usage des intrants, cette interdiction conduit à les multiplier, sans réelle efficacité sur les ravageurs.
La loi Duplomb comme espoir de rééquilibrage
C’est dans ce contexte que le projet de loi Entraves prévoit de réautoriser temporairement l’acétamipride sous conditions strictes. Une mesure attendue par de nombreux arboriculteurs, à commencer par Jérôme Bergère : « C’est purement et simplement de la distorsion de concurrence. Des cerises et des fraises arrivent à tout-va d’Espagne et d’Italie. Comment sont-elles produites ? Avec bien plus de produits, bien plus dangereux ».
Derrière ces choix réglementaires, c’est la viabilité de l’arboriculture française qui est en jeu. « Aujourd’hui, le commerce, ce n’est pas un problème, il y a de la demande. Mais si on nous enlève nos outils de production, on fait comment ? », questionne-t-il. « Je veux bien qu’on interdise des choses, mais il faut des solutions. Aujourd’hui, il n’y en a pas ! » Un constat lucide : « Chacun peut avoir son avis, moi je vois la réalité du terrain ! Dès qu’on a des alternatives possibles, nous sommes prêts à les mettre en place ». Mais les alternatives efficaces et économiquement viables restent rares.
Dans le Loiret comme ailleurs, l’arboriculture perd du terrain. Une réalité que certains élus semblent encore ignorer.